Peut-on être condamné en Suisse pour avoir visionné du contenu pédopornographique à l’étranger ?
13 janvier 2025
Dans un monde de plus en plus globalisé, où les infractions pénales traversent les frontières avec une facilité déconcertante, les juridictions nationales sont confrontées à des défis sans précédent. Les arrêts du Tribunal fédéral 7B_54/2022 et 7B_55/2022 du 11 décembre 2023 en sont une illustration marquante. Cet article portera sur la notion de rattachement territorial d’un délit commis à l’étranger. Le délit en question, est basé sur le cas d’un visionnement à l’étranger de vidéos pédopornographiques.
L’état de fait est relatif à l’infraction de l’article 197 alinéa 5 CP, à savoir la possession et le visionnement d’une vidéo pornographique impliquant des mineurs. Le fondement de cet arrêt n’est pas de savoir si les recourants sont coupables ou non de cette infraction. La problématique du cas d’espèce provient du fait que les recourants ont commis cette infraction exclusivement à l’étranger, plus précisément en France, et ne sont pas de nationalité Suisse. Se pose alors la question de la compétence du juge suisse à l’aune des articles 3 et suivants CP, en raison de cet élément d’extranéité. En Suisse, le for pénal détermine le tribunal compétent pour juger une infraction en fonction du lieu où elle a été commise (principe de territorialité). Toutefois, des exceptions existent, notamment en cas de liens avec d'autres cantons ou pays, ou si l'auteur réside en Suisse et qu’aucun autre tribunal ne peut être saisi. Ces exceptions sont régies aux articles 3 et suivants CP.
Dans son raisonnement, le Tribunal fédéral critique le rattachement en Suisse retenu par la Cour cantonale. En effet, cette dernière a mis en exergue l’art. 7 CP, compétence subsidiaire du juge suisse pour certains actes qui ne répondent pas aux conditions des articles 4 à 6 CP. L’art. 7 al. 2 CP fait abstraction de tout rattachement personnel et peut donc s’appliquer indépendamment de la nationalité des protagonistes et notamment au sens de la let. b, en cas de crime particulièrement grave proscrit par la communauté internationale. La Cour a retenu que le cas d’espèce pouvait y être assimilé, en raison de l’adhésion par la Suisse à la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels entrée en vigueur en juillet 2014. Néanmoins, le Tribunal fédéral rejette cette interprétation. En effet, l’art. 197 al. 5 CP est un délit au sens de l’art. 10 al. 3 CP, et non pas un crime au sens de l’art. 10 al. 2 CP. Dès lors, la Cour cantonale ne pouvait pas retenir la compétence du juge suisse sur la base de l’art. 7 al. 2 let. b CP, l’infraction n’étant pas suffisamment grave.
Le Tribunal fédéral examine également la question par le biais de l’art. 6 al. 1 CP. Pour que la compétence du juge suisse soit valablement fondée sous l’angle de cette disposition, il faut que l’accord international concerné prévoie non seulement l’obligation d’incriminer certains comportements, mais également explicitement celle de poursuivre et de juger les auteurs ayant commis les infractions en cause à l’étranger. La Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels a pour objet à son article. 1 « de prévenir et de combattre l’exploitation et les abus sexuels concernant les enfants (let. a) », « de protéger les droits des enfants victimes (let. b) » et finalement « de promouvoir la coopération nationale et internationale (let. c) ». Le comportement des recourants entre dans la définition de la possession de pornographie infantile au sens de l’art. 20 de la Convention. De plus, au sens de son article 25 chaque État partie doit établir sa compétence lorsque notamment au sens de la let. e : l’infraction a été faite par une personne ayant sa résidence habituelle sur son territoire. Toutes les conditions de l’application de l’art. 6 al. 1 étaient donc remplies dans le cas des recourants. Cependant, la Suisse a émis une réserve quant à la question de la résidence habituelle, en raison du fait que cette dernière ne connait pas ce rattachement dans son droit interne. Ainsi, la réserve formulée par la Suisse a conduit à l’acquittement des recourants.
De ce fait, le Tribunal fédéral a décidé qu'à défaut d'une compétence des autorités judiciaires suisses qui pourrait être déduite des articles 3 et suivants CP, le recourant doit être acquitté du chef de l'art. 197 al. 5 CP. Si une action devait être intenté, il demeure à priori possible de dénoncer les faits aux autorités de poursuite pénales françaises ou roumaines. L'arrêt attaqué a donc dû être annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour une nouvelle décision concernant les frais de procédures et indemnités allouées au recourant.
Article rédigé par Nayla GIANNI pour Atlas Legal
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