Interdiction de la publicité commerciale dans l’espace public
1 novembre 2024
Arrêt du TF_2C_36/2023, 2C/38/2023 du 5 juin 2024 (Interdiction de la publicité commerciale dans l’espace public).
La population lancéenne doit s’exprimer d’ici au 24 novembre 2024 sur l’adoption ou non d’un règlement communal interdisant la publicité commerciale sur des affiches et annonces visibles depuis le domaine public et privé. A l’heure où ces quelques lignes sont rédigées, où le débat fait rage et où l’argument de la violation des droits fondamentaux est régulièrement brandi, il convient de revenir sur quelques considérants d’un arrêt récent qu’a rendu le Tribunal fédéral quant à un règlement similaire adopté par la commune de Vernier.
Les faits
En 2022, le Conseil municipal de la Ville de Vernier a adopté un règlement interdisant la publicité commerciale sur des affiches et annonces visibles depuis le domaine public, que la publicité soit située sur le domaine public ou sur le domaine privé.
Aucun référendum n’ayant abouti, le règlement est entré en vigueur fin juillet 2023.
Du fait de la nouvelle réglementation, 132 panneaux d’affichages sont retirés de la commune. Il en reste 40 qui peuvent être utilisés pour de l’affichage à caractère idéal (affichage culturel, à portée éducative, de promotion de manifestations culturelles, sportives ou d’intérêt général, libre expression artistique et citoyenne, communication d’association ou autres institutions locales sans but lucratif).
Des entreprises d’affichages et de publicité, ainsi que des particuliers (commerçants et personnes individuelles) interjettent recours contre le règlement.
Le litige porte sur l’interdiction d’affichage à des fins commerciales sur le domaine public et sur le domaine privé visible depuis le domaine public de la ville de Vernier (art. 3 du règlement litigieux), ainsi que sur l’affichage autorisé sur les panneaux d’affichage restants (art. 4 du règlement).
Selon les recourants, la règlementation constitue une mesure de politique économique prohibée par l’art. 94 al. 1 Cst. ; viole la liberté économique (art. 27 Cst.) ainsi que la garantie de la propriété (art. 26 Cst.) ; viole d’égalité de traitement entre concurrents (art. 8 et 27 Cst.) ; la liberté d’expression (10 CEDH) ainsi que la liberté de l’art (art. 21 Cst).
Le droit
Le droit cantonal genevois ne prévoyant, pas de recours abstrait contre les actes normatifs communaux (ACST/24/2023 et ACST/25/2023), le Tribunal fédéral connaît directement du recours en tant qu’autorité de première instance (art. 87 al. 1 LTF).
Procédant à un contrôle abstrait d’un règlement communal, le Tribunal fédéral s’impose une certaine retenue eu égard aux principes découlant du fédéralisme et à la proportionnalité.
Il s’est tout de même longuement penché sur le règlement de la commune de Vernier et, après analyse, n’a décelé aucune atteinte inadmissible aux droits fondamentaux.
Selon le Tribunal fédéral, le règlement litigieux ne constitue pas une mesure de politique économique prohibée par l’art. 94 Cst. Il ressort en effet du règlement et des débats communaux que l’interdiction poursuit des motifs dits sociaux, ou de politique sociale (qualité du paysage communal, préservation du cadre de vie, combattre la pollution visuelle, soustraire la population à une exposition non désirée à de la publicité et éviter ainsi les conséquences induites de cette exposition telles que la surconsommation, l’obsolescence programmée et le surendettement). Selon le Tribunal fédéral, l’interdiction ne poursuit par contre pas d’objectifs de politique économique et n’a pas pour finalité d’influencer la libre concurrence. L’interdiction sort ainsi du champ d’application de l’art. 94 Cst et est donc compatible avec la Constitution.
Le règlement litigieux ne porte pas non plus d’atteinte inadmissible à la liberté économique (art. 27 Cst.) et à la garantie de la propriété (art. 26 Cst).
Si elle touche naturellement ces droits, l’interdiction repose sur une base légale suffisante (le règlement), est justifiée par les intérêts publics précités et est proportionnée.
La mesure ne porte pas non plus atteinte au noyau intangible de ces droits fondamentaux que ce soit vis-à-vis des sociétés d’affichage ou des acteurs économiques souhaitant faire connaître leurs produits et services.
En effet, s’agissant des sociétés d’affichages, ces dernières ne pouvaient, même avant le règlement, pas procéder à l’affichage comme elles l’entendaient mais étaient mandatée par la commune qui aurait très bien pu procéder à l’affichage elle-même. De plus, le règlement ne prohibe pas tout affichage mais uniquement l’affichage commercial de sorte que les sociétés d’affichages pourront très bien être à nouveau mandatées par la commune pour procéder à de l’affichage conforme au règlement. S’agissant des commerçants, le Tribunal fédéral relève que certes, le règlement les prive d’un canal de diffusion. Cela étant, le Tribunal fédéral note que ces commerçants disposent toutefois d’une kyrielle d’autres moyens pour faire connaître leurs produits et leurs services, et, s’agissant des commerçants locaux, ces derniers pourront continuer à afficher de la réclame pour compte propre dans leurs propres vitrines d’exposition.
Pour ce qu’il en est de l’interdiction d’affichage sur le domaine privé visible depuis le domaine public, l’atteinte à la liberté économique est certes plus grande et touche en outre à la garantie de la propriété.
Cela étant, ces restrictions ne sont pas disproportionnées. De fait, elles sont nécessaires puisque sans elles, l’interdiction d’affichage sur le domaine public pourrait être trop facilement contournée.
Il n’y a pas non plus de violation de l’interdiction du principe d’égalité de traitement entre concurrents.
La finalité de l’affichage en faveur de manifestions culturelles ou sportives n’est pas uniquement mercantile, contrairement à la publicité commerciale qui a pour seule vocation d’inciter à consommer un produit ou un service. Compte tenu de la différence entre un message de publicité commerciale et un message de promotion de manifestations culturelles ou sportives, le Tribunal fédéral ne discerne pas d’inégalité de traitement entre concurrents, qui plus est directs.
En outre, le règlement ne porte pas atteinte à la liberté d’expression au sens de l’art. 10 CEDH. Le Tribunal fédéral rappelle à cet égard que la CourEDH elle-même reconnait que les individus ne disposent pas d’un droit inconditionnel ou illimité à l’usage accru du domaine public, surtout en matière de supports publicitaires ou d’information. Si l’’art. 10 al. 2 CEDH ne laisse guère de place pour la restriction à la liberté d’expression en matière politique, les Etats membres disposent en revanche d’une large marge d’appréciation s’agissant du discours commercial et publicitaire.
Finalement, le Tribunal fédéral estime que les recourants n’indiquent pas en quoi ils seraient titulaires de la liberté de l’art en lien avec l’affichage publicitaire commercial ni en quoi la liberté de l’art serait touchée par le règlement litigieux qui n’interdit pas la création d’affiches et sa diffusion. Il n’effectue toutefois pas d’analyse poussée de ce grief qualifié d’irrecevable car insuffisamment motivé.
Article rédigé par Me Marwan DOUIHOU pour Atlas Legal
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